Un retour en pirogue

Publié le par doc-en-stock

 

Sept septembre 2011. C'est le jour, ça y est, je rentre de Camopi. En théorie. Déjà lundi Carlin, le compagnon de l'infirmière du dispensaire, Anne, m'a gentiment fait traverser l'Oyapock à la force de ses bras sur sa pirogue pour m'accompagner jusqu'à l'entreprise de BTP de Camopi qui fait partir tous les matins une pirogue pour Saint Georges. Après avoir recherché le responsable jusqu'à la piste d'atterrissage en construction, nous le trouvons chez lui et il me confirme que je peux embarquer sur la pirogue de mercredi matin. Seul impératif, être dans le coin entre 6H30 et 7H00. OK, le rendez vous est pris. Au passage, je peux enfin voir cette fameuse piste qui devrait désenclaver cette zone en pleine forêt. Si tout va bien, bientôt quarante minutes de vol sépareront Cayenne de Camopi. Un confort incroyable qu'on oublie quand on y a accès. Pour le centre de santé, et pour la prise en charge des patients, ce sera aussi une révolution. Faire partir les femmes enceintes ou les patients très fatigués sur le centre hospitalier de Cayenne deviendra une formalité. Mieux encore, faire de simple bilans sanguins, de toutes bêtes prises de sang, ne serait ce qu'une fois par semaine va faire exploser l'amélioration de la prise en charge des malades chroniques. Pour l'heure, ces prises de sang sont programmées à la dernière minute, à l'occasion du passage d'un SAMU pour une urgence, une EVASAN ( évacuation sanitaire),et forcément, très peu efficientes. En deux mois en zone isolée, je n'ai eu pour ma part aucun hélicoptère, donc aucun bilan sanguin. Oui, ça sera bien, la piste d’atterrissage. Mais pour l'heure, ce n'est pas d'actualité. Pour l'heure, le trajet s'effectue par voie fluviale, et chaque fois c'est une petite aventure.

 

Romain, ma relève, est arrivé par la pirogue de l'hôpital de lundi. Celle ci est partie mardi pour Trois Saut avec Fanny l'infirmière de relève qui y part pour un mois, et Elise, la pédiatre de l'hôpital de Cayenne qui passe la semaine en mission pour consulter les enfants amérindiens dans les villages.

 

La pirogue ne redescendra de Trois Saut que jeudi, et repartira pour Saint Georges vendredi. J'ai fini mon travail et j'ai encore 4 jours à attendre avant de rentrer. Ce n'est pas que je m'ennuie à Camopi, mais je préfère utiliser mon temps autrement que d'attendre ici. D'où ma décision d'anticiper mon départ. Et me voilà, debout depuis cinq heures et demi, à attendre devant le magasin de Camopi. Il est six heures et quart. La brume recouvre le village. On ne discerne pas grand chose au delà de 20 mètres. Le fleuve si dégagé d'habitude est noyé dans une ambiance que Londres ne renierait pas. À cette heure là, c'est toujours comme ça, mais à cette heure là, je ne suis pas debout ! Passe une pirogue avec deux brésiliens à son bord. L'un d'eux me voit sur la berge et me fait un signe. Je comprends qu'il me demande si je veux traverser. Providentiel ! Je serais du bon côté de la rive pour  prendre la pirogue. Sans hésiter j'accepte et il me prend avec mes bagages. Pendant que nous traversons, je ne peux m'empêcher de penser que la journée commence bien. Après m'avoir déposé, il repart, suivant son bonhomme de chemin et remonte un bras du fleuve, simplement.

  Camopi dans la brume 3

Camopi au reveil.

 

Commence l'attente. La longue pirogue en bois qui doit me faire descendre l'Oyapock n'est pas encore là. Le temps s'écoule. La vie suit son cours. La barge qui sert à récuperer du sable dans le lit du cours d'eau se retrouve colonisée par ses marins qui me saluent en brésilien avant de partir à l'assaut du fleuve. Sam, le jeune charpentier qui poursuit son compagnonnage à Camopi échange quelques mots avant de traverser pour continuer de travailler sur le nouveau ponton, tout neuf, de la gendarmerie qui pourra aussi servir au dispensaire à l'occasion. Je reste là, seul. Toujours pas de pirogue. Les pirogues de ramassage scolaire chargées d'enfants cerclés par leur gilet de sauvetage couleur orange pétard vont les déposer à proximité de l'école. Il est maintenant Sept heures et demi ! Ce n'est pas une histoire de stress. De toute façon, le stress n'y changerait rien. Mais je commence à douter. Tant que je ne serais pas à bord, je ne suis pas sûr de partir. Allez ! Ce n'est pas grave ! Après tout, la vie chez les amérindiens apprend la patience.

 

Il est huit heures et toujours rien. Un des responsables du chantier que j'ai déjà croisé lors d'une « soirée »  me voit. « Tiens ; qu'est ce que tu fais là ? Ben, j'attends la pirogue pour Saint Georges. Tu peux attendre longtemps, elle est en panne. C'est bête, la pirogue qui est juste en face part aussi sur Saint Georges. Tu es du mauvais côté. » et, comme si ça ne suffisait pas, il s'éloigne prestement en ajoutant «  et me demande pas de te faire traverser, j'ai pas de pirogue pour l'instant ! » Il disparaît en un éclair, me laissant muet de surprise autant pour sa réplique que devant l'évidence des faits :

 

Camopi dans la brume 2

 

1/Je suis du mauvais côté du fleuve.

2/ Il n'y a pas de pirogue pour me faire traverser.

 

Conclusion: Bien joué David !

 

Je me vois coincé à Camopi pour un à deux jours de plus. Rien de bien dramatique. J'ai un endroit pour dormir. L'ambiance ici est très bonne. Je suis d'ors et déjà en vacances. Mais partir avec deux jours d'avance me permet d'être à Cayenne pour la fin de la semaine et de remplir les formalités administratives à l'hôpital de fin de contrat avant d'avoir réellement, complètement fini.

 

Qu 'est ce que vous auriez fait à ma place ? Et moi ? Qu'est ce que j'aurais fait à ma place ? J'aurais agité les bras de bas en haut et de haut en bas dns un mouvement de va et viens à chaque pirogue qui file pour attirer son attention et espérer attirer son attention. Et c'est justement ce que j'ai fait. Dans ces cas là, il faut réussir à faire abstraction qu'on est potentiellement ridicule et désespéré. Les deux premières tentatives sont des échecs retentissants. Je ne sais même pas s'ils ne m'ont pas vu ou s'ils n'ont pas voulu me voir. La troisième pirogue qui passe a trois personnes à son bord, un homme, une femme et un enfant . Elle s'arrête au ponton du magasin, juste en face de moi. La femme et l'enfant descendent. Et ? La pirogue repart... pour se diriger vers moi. À son bord, un amérindien à qui j'explique que je cherche une pirogue pour descendre sur Saint Georges. Il me confirme alors que celle qui est sous mes yeux depuis presque une demi heure y part dans peu de temps. Puis il me demande :

« tu es le médecin de Trois Sauts ? » Interloqué, je lui demande si je l'ai eu en consultation.

« non, mais je t'ai vu là bas ! ». Je n'en saurais pas plus, toujours est-il qu'il m'embarque à son bord et que je me retrouve, pour la deuxième fois de la matinée, à traverser l'Oyapock pour prendre une pirogue salvatrice.

 

Le temps de voir le pilote de mon futur moyen de transport pour qu'il accepte que j'embarque (moyennant 50 euros...) et de remercier mon passeur, me voilà à bord. Il était temps. Le départ était plus qu'imminent car moins de cinq minutes plus tard, nous sommes partis. Je suis parti. Au revoir Camopi, et merci pour tout !

 

Départ dans la brume

Dans la brume matinale

 

Une coquille dans la brume, un frêle esquif fendant le brouillard du matin, slalome entre les rochers  disséminés dans le cours d'eau et maintenant d'autant plus visible que nous sommes passé de la saison des pluies à la saison sèche, ce qui implique une diminution nette et tranchée du niveau des eaux. Les roches sont mises à nu, prêtes à éventrer une embarcation imprudente qui, impudente, aurait l'envie de délaisser les grandes trajectoires en courbe contre des lignes droites plus fatales. Il y a trois mois à peine, je passais dans l’autre sens, curieux des découvertes que j’allais faire et des expériences que j’allais vivre. Et maintenant me voilà, à redescendre le fleuve vers ce qu’on appelle couramment « la civilisation », songeur et un peu inquiet. Je ne suis pas le seul passager à bord. Derrière moi, une jeune famille amérindienne de Camopi. Devant, un autre amérindien agé d’une cinquantaine d’année, le pilote à l’arrière, le takariste à l’avant, et un brésilien à côté du pilote. Et… c’est tout !

pilote

le pilote

 

Il est 10h. Après deux heures de pirogue pendant lesquelles j’ai vu la brume initiale se lever jusqu’à disparaitre au profit d’un ciel ensoleillé où le moindre nuage a disparu loin derrière dans la forêt, nous faisons une halte, pour le moins inattendue.

 

Sur la berge, à gauche, se trouve une pirogue à moitié immergée, échouée. C’est l’embarcation du brésilien qui est à bord avec nous. Il y a quelques jours, suite à un problème de manœuvre sur ce fleuve qui est, est-il utile de le dire, considéré comme non navigable, il a dû se résoudre à la laisser là. Et nous voilà pour une pause tonique. Le pilote et le takariste se mettent à l’eau et l’accompagnent jusqu’à « l’épave » pour, je le suppose à ce moment là mais sans en savoir plus car ils ne m’expliquent rien, la dégager. Allais je rester à bord et sécher au soleil en attendant ? ça aurait été dommage. Le temps de retirer le tee-shirt et le short, et, très classe en caleçon, je me mets à l’eau, accompagné par le jeune père de famille.

Comment j’ai pu me retrouver dans cette situation ? Me voici dans l’eau fraiche et revigorante de l’Oyapock, ce qui n’a rien de désagréable, bien au contraire en vue de la température extérieur, à vider le contenu de la pirogue dont l’arrière est presque à deux mètres de profondeur. Le contenu ? cherché à tâtons dans l’eau opaque du fleuve, il tombe sous les mains sous la forme de gros sacs de ciments qui ont pris l’eau. Je suis en train de vider des blocs de ciments d’une pirogue pour les jeter par dessus bord, dans l’Oyapock ! D'un point de vue strictement écologique, c'est moyen. Je ne parlerais donc pas des chargements divers et variés qui finissent dans le lit du cours d'eau dont certaines batteries pour panneaux solaires dont je n'ai toujours pas bien compris si elles ont réellement coulées ou si elles ont été déclarées comme telles par les piroguiers qui les convoyaient. Après tout, ces naufrages sont ils si surprenant quand on sait que l'on est sur un cours d'eau non navigable ?

pirogue sauvée des eaux

la pirogue sauvée des eaux

 

Ce petit intermède sportif ayant consisté à vider la pirogue de son contenu solide, puis de son contenu liquide ( comprenez que nous avons écopé toute l'eau à grands coups de seaux et de jerricanes en plastique découpés pour l'occasion), les bricolos du bord, donc pas moi, se sont occupés du moteur pour le vider de l'eau qui l'avait investi jusque dans les moindres tuyaux, et ensuite pour le faire repartir. Une bonne grosse heure de pause en plein soleil à mi chemin du retour qui s'annonce plus long que prévu. D'un autre côté, comme je n'avais formellement rien de prévu, est ce que ça peut être plus long que l'imprévu ?

un rafraichissement

Un petit rafraichissement.

 

Allez ! Ne nous éternisons pas là dessus, car le reste du voyage s'est déroulé sans encombre, en comptant le passage du fameux « Saut Cachiri », un rapide plus rapide que les autres. Et me voici presque à destination, à Saut Maripa à 20 km de piste de Saint Georges. Une petite attente de presque une heure le temps qu'une voiture s'aventure jusque là pour amener des indiens qui, eux, repartent dans l'autre sens, et c'est la fin du voyage. Intercepté, il accepte de me ramener jusqu'à la ville. Ouf !

 

sur la pirogue

La pirogue file.

 

Voilà ! Finalement, encore une belle balade en pirogue sur l'Oyapock. Ma dernière. Il est 13 h. Je suis un chanceux. J'ai appris que Fanny et Elise ont mis 12h pour y arriver de Camopi, en plein soleil et après une première journée de 8 heures de pirogue. Avec la chaleur écrasante et l'absence  totale d'ombre sur ce morceau d'aluminium, on en vient presque à souhaiter dans ces cas là une bonne pluie tropicale pour se rafraichir. Mais c'est la saison sèche ! Le mois prochain, il est très probable qu'il faudra fragmenter le trajet encore une fois. Trois jours de pirogue, peut être quatre, avec nuit en hamac sous un carbet le long du fleuve, en pleine forêt, seul au monde.

 

Alors je pense au retour. Alors je pense à Paris. Je pense aux transports en commun. Je pense au stress. Je pense aux gens qui courent pour ne pas rater leur rame de métro. Je pense à leur irritation, leur énervement quand c'est le cas. Et oui ! La prochaine est quand même dans six minutes ! Je pense que j'ai été comme ça. Je pense que j'ai pas trop envie de le redevenir.

 

La Guyane, ça apprend la patience.

 

 

J'espère ne pas oublier.

 

 

Une pirogue, ça trace!

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C
Bonjour<br /> je suis medecin a Camopi en ce moment et je voudrais partager avec toi quelques impression, je viens d'arriver , l'adaptation est mega difficile et cela pourrais me faire du bien de discuter et<br /> d'etre conseillé par quelqu'un qui a vecu la meme experience que moi.<br /> a bientot j'espere<br /> Latifa
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