Kassave

Publié le par doc-en-stock

 

Il fait lourd. La chaleur cède progressivement le pas à l'orage qui point à l'horizon. Pluie rafraichissante, si ce n'est salvatrice qui annihile ma torpeur avec suffisance pour mieux me permettre de sortir du hamac dans lequel ma sieste m'avait engluée. Me voilà donc de retour, à Camopi, sous la varangue face à l'Oyapock, face à mon clavier, face à vous.

 

Le titre pourrait laisser à croire que je vais parler zouk, musique créole, fête. Pas du tout. Le sujet du jour est alimentaire. Il parle du manioc. Pas de pomme de terre ici. C'est ce tubercule qu'on trouve en grande quantité dans les abattis. Il sert à l'alimentation de base. Il fournit à boire et à manger. À boire ? J'en ai déjà parlé, il s'agit du cachiri. Alors abordons un plat de base, le « pain local », la kassave.

porter le manioc

du boulot

un beau tas de manioc à préparer

 

Tout commence à l'abattis où les femmes récupèrent dans des grands paniers tressés accrochés sur leurs épaules des quantités impressionnantes de tubercules. A pied, elles rentrent au village. Là, ce monticule de manioc va être consciencieusement épluché avant d'être rapé pour donner une pâte de manioc. Les râpes sont simples. Des planchettes de bois incurvées percées de petits orifices qui créent des reliefs à leur surface. Esprit de récupération oblige, le métal d'une boite de lait en poudre, bien déroulé, fait une surface ingénieuse très convenable et rempli à merveille son office.

râpe

les râpes à manioc traditionnelles et moins traditionnelles

pâte de manioc

 

La pâte ainsi obtenue est introduite dans une couleuvre, un tuyau en vannerie fermé à une extrémité, pour y être pressée et compressée. Elle y sèche et on obtient une sorte de carotte de manioc sur laquelle les drosophiles ( des mouches) adorent se poser. Nous pouvons passer à l'étape suivante.

carotte de manioc

les points noirs sont des mouches

fragment manioc

 

tamisage 2

 

Cette carotte est fragmentée morceau par morceau par la maitresse de maison qui la dépose sur un tamis pour en obtenir une poudre plus fine. Elle n'a plus qu'à disposer cette sorte de farine grossière sur une plaque de métal d'une cinquantaine de centimètres au dessus du feu, et à en surveiller la cuisson, en la retournant, et la frottant du bord non tranchant de son couteau.

 

cuisson kassave

kassav cuisson

 

Une fois prête, cette galette pourra être conservée au sec étendue sur le toit d'un carbet, qu'il soit de tôle ou végétal.

sechage1

 

Vous êtes vous demandé comment le bois arrivait dans le feu ? De la même manière que le manioc revient de l'abattis, porté sur le dos des femmes, dans des « sacs à dos » identiques. Quand à la vannerie c'est un travail d'homme, comme la chasse.

 

La femme wayampi ! Elle porte le manioc, le bois, prépare le cachiri, le kassave. Lors des cachiris, les hommes sont assis tout autour du carbet et discutent, et rient. Les femmes font de même, sous un autre carbet. Mais qui sert le cachiri ? Les femmes. Inlassablement, toute l'après midi, toute la soirée, elles passent d'homme en homme, tendant la calebasse remplie puis repartent vers les bassines pleines que tous ont l'intention de vider au plus vite. Elles sont souriantes. Elles sont calmes.

 

Un ami proche et que je sais sincère disait il y a peu qu'il pense fondamentalement que les femmes et les hommes sont égaux. Là, évidemment je le rejoins. Comme je rejoins les personnes qui sont contre le cancer et l'hypocrisie. Il n'est pas bien dur de s'entendre sur des lieux communs. Mais son propos ne s'arrêtait pas là et il estimait que toute personne sensée se devait de penser de même. C'est là que nos opinions diffèrent. La conception des droits individuels est une chose très particulière, presque autant que peux l'être la conception du bonheur. Ces femmes sont elles heureuses comme ça ? Sont elles plus heureuses ou moins qu'une européenne ? Je ne sais répondre à cette question. Par contre, il est illusoire de voir la condition de la femme changer avec rapidité à Trois Sauts. Car on se retrouve confronté à un terrible dilemme : protéger une culture et un mode de vie qui ont été préservés pendant des siècles, ou imposer de force une acceptation de notre culture morale moderne occidentale ? Comment faire pour tenir un discours humaniste en vivant dans un lieu où l'on est bien accueilli, étranger que nous sommes en ce monde auquel nous ne sommes pas plus préparés qu'ils ne le sont au notre ? Ne risque t on pas de verser du même côté que les missionnaires en Afrique au temps des colonies ? Pour ma part, je suis un humble observateur, je dresse des constats et essaie ( oui j'essaie) de ne pas trop juger hâtivement les modes de vie différents.

 

Il faut du temps pour que les mentalités changent. Il faut des rencontres. Il faut des échanges, des discussions, des points de comparaison, des alternatives. Il faut des envies, des rêves, des horizons qui s'élargissent. Il faut sortir de chez soi, il faut entendre et voir, il faut écouter et regarder.

 

Il faut du temps, encore.

 

Il faut du temps...

 

 

 

Et la kassave ? Ben il faut imaginer une sorte de galette très sèche. Quand vous en mettez un morceau dans la bouche, elle en absorbe instantanément toute l'humidité. Vous machez du coton, et en plus sans sel ( essayez le pain sans sel de l'hôpital ça vous donnera une idée). Bref, c'est pas bon !

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T
viens manger des Cassaves en Guadeloupe a Capesterre-Belle-Eau et tu oublieras ce mauvais souvenir de galettes trop seches...
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